Un psychanalyste jungien nous parle du Yi Jing ...

Entretien avec Elie Humbert (3)

En 1988, pour la revue Hexagrammes publiée par le centre Djohi, le psychanalyste jungien Elie HUMBERT nous accordait un entretien dans lequel il nous parlait de son rapport au Yi Jing.

Retrouvez ici ses mots , qui résonnent encore aujourd’hui si justement … car consulter le Yi Jing, c’est accepter de faire apparaître ce qui est déjà là.

Les réponses du Yi Jing éclairent toujours …

HEXAGRAMMES : Pouvez-vous nous citer des exemples d’adéquation entre une figure du Yi Jing et une situation ?

Elie Humbert Il y a bon nombre de circonstances dans lesquelles le Yi Jing parle d’une façon absolument étonnante, dans lesquelles il s’agit de cet hexagramme-là et d’aucun autre.

Pour ma part, il y a quelque chose qui m’a frappé récemment. À la mi-septembre, j’étais dans une situation un peu particulière et j’ai tiré l’hexagramme n° 29 qui parle du danger de tomber dans un gouffre, et à la mi-octobre, j’ai tiré le n° 5, avec le quatrième trait mutant qui est « attente dans le sang, attente devant un grand danger… ». C’était tout à fait ce que j’avais besoin d’entendre dans ces moments-là. Il est assez frappant de voir que, dans deux circonstances, vous tirez deux hexagrammes différents et que tous les deux vous disent la même chose et que, par ailleurs, ces deux hexagrammes correspondent exactement à la situation.

C’est un exemple récent pour moi de l’adéquation d’un hexagramme avec la situation. Alors la question que l’on peut se poser (et c’est une autre manière de dire : « on y trouve ce qu’on apporte »), c’est de se demander dans quelle mesure ce qui sort est une manifestation de la situation, vue de l’extérieur ou bien une manifestation de la situation vue de l’intérieur. Autrement dit, si je reprends cet exemple, est-ce que la situation est telle que je ne dois surtout pas bouger, et là on aurait le moment en lui-même, ou est-ce que la situation est telle que je ne sens pas en moi la possibilité de bouger ? On peut se poser cette question.

HEXAGRAMMES :  Et si c’était le tiers médian ? C’est-à-dire : ne pas bouger, c’est ce que vous devez faire dans cette situation ! 

Elie Humbert Oui, mais on pourrait dire aussi : « c’est ce que je fantasme que je dois faire ». Je crois qu’en réalité, c’est une question qui se pose à partir de l’interprétation des rêves. C’est une question un peu théorique, parce que finalement, on ne peut pas faire autre chose que ce que l’on porte en soi. Que ce soit l’événement extérieur ou que ce soit quelque chose que je porte en moi finalement, c’est pareil.

HEXAGRAMMES :  Ce qui permet aux Chinois de dire : « le général a perdu la bataille au cours de laquelle il a été tué parce que les rites n’ont pas été respectés lors de son enterrement ».

Elie Humbert Voilà c’est exactement ça !

HEXAGRAMMES :  Il n’était pas en accord avec le ciel, donc aussi bien il a perdu la bataille, aussi bien son enterrement n’était pas correct.

Elie Humbert C’est très juste psychologiquement. Et on peut dire que cette situation-là, on la pratique journellement dans l’interprétation des rêves. Les rêves jouent de l’extérieur vers l’intérieur, comme le Yi Jing.

Rationnalité ? …

HEXAGRAMMES :  Peut-on dire que la rationalité qui arme le Yi Jing ressemble plus à celle qui est à l’œuvre dans le vivant, au niveau de ses manifestations psychiques, qu’à la rationalité cartésienne qui est en œuvre dans ses manifestations physiques ?

Elie Humbert Je crois qu’il y a dans le Yi Jing deux niveaux différents.

Il y a un premier niveau de rationalité qui est celui de la philosophie confucéenne, qui correspond fort bien aux dimensions de l’être humain et qui a tout à fait un aspect moral et hautement rationnel.

Il y a aussi un autre niveau, qui est : comment a-t-on pu distribuer cette rationalité-là sur soixante-quatre hexagrammes ? Et c’est sûrement un des intérêts de votre revue de travailler sur cette question.

Et puis, il y a un troisième niveau, une troisième interrogation, à savoir comment moi, en jouant dans un système digital, est-ce que je retrouve par l’intermédiaire des hexagrammes, une situation objective ? Est-ce qu’il y a une rationalité là-dedans ou est-ce purement magique, purement fortuit ?

Cela correspondrait à la question du rapport entre le Yi Jing et les archétypes. Je ne crois pas que dans le Yi Jing il soit question des archétypes en tant que tels, c’est-à-dire ceux avec lesquels nous avons à faire dans la littérature. Ce n’est pas le père, la mère, même si on y voit des traits de l’animus, de l’anima ; ce n’est pas cela. Encore que l’animus se montre trop, parce que, finalement, c’est une philosophie très masculine.

Mais je crois qu’il y a quand même un jeu chiffré là-dedans. C’est ce qui permet que ça marche et ça a à faire avec l’archétype. Là, je me retiens d’adhérer ou de ne pas adhérer à ce que ce von Franz a écrit sur « Nombre et Temps », mais je pense en tout cas que c’est de ce côté-là qu’il faut chercher. Dans ce numéro, vous me disiez qu’il est aussi question du code génétique et des hexagrammes, c’est aussi en rapport avec ça. Quand nous consultons le Yi Jing, pour arriver à appréhender quelque chose de la qualité du temps, nous jouons avec le nombre d’une façon digitale, en rapport avec les soixante-quatre hexagrammes. C’est d’ailleurs un digital très compliqué. Par les jeux du nombre selon la rationalité que le Yi Jing définit, on a la possibilité de se mettre en rapport avec le temps.

Un conseil ? …

HEXAGRAMMES : Parmi les soixante-quatre hexagrammes, y en a-t-il un qui vous questionne plus que les autres ou qui vous ennuie plus que les autres ? Un qui revient plus souvent que les autres ?

Elie Humbert : Depuis trente ans que je le pratique, chaque fois que je tire le Yi Jing, je le note. Et je me propose toujours de regarder d’un peu plus près ce qui est sorti, s’il y a une continuité de rapport entre les circonstances et les hexagrammes apparus.  Mais je ne peux pas dire lequel me frappe plus particulièrement. Je n’ai pas de réaction passionnelle. Peut-être je ne m’en rends pas compte et c’est ce qui apparaîtrait si je faisais cette inspection ; qu’il y en a un que je n’ai jamais compris par exemple. Mais je n’en sais rien aujourd’hui.

HEXAGRAMMES : Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui est placé devant un hexagramme ?

Elie Humbert : Je crois que je lui donnerais le conseil d’entrer dedans.

D’entrer dans le sens, d’accepter une voie rationnelle qui lui dise aussi quelque chose de caché.

Et d’en sortir, pour se mettre à distance de ce qui est dit. 

 

Article mis en ligne en mars 2021 sur ce site

Propos recueillis en 1988,

par Cyrille JAVARY et Kirk Mc ELHEARN

Pour la revue Hexagrammes, du Centre Djohi

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